« Quand vous avez envie d’abandonner, rappelez-vous pourquoi vous avez commencé. »
Cette phrase m’accompagne depuis cinq ans, comme une bouée à laquelle je me raccroche lorsque la mer est agitée et que les vents me sont contraires.
Comme en ce moment. Je ressens une profonde lassitude. Bien plus qu’une fatigue, c’est presque du découragement.
Rien d’étonnant, après des années à porter un projet associatif, tout en développant un cabinet de conseil en même temps, à affronter des obstacles et des tentatives de sabotage venant parfois de l’intérieur. Tout ça avec très peu de soutien. (Merci aux membres de Rezalliance d’être toujours là.)
Depuis janvier, l’épuisement s’est insidieusement installé. Pas celui qu’un week-end de repos peut suffire à effacer, mais une fatigue profonde, persistante. Je ne suis pas seule à ressentir cela. Beaucoup d’entre nous, personnes engagées sur les sujets de justice sociale, d’inclusion et d’équité, se demandent si tout cela en vaut vraiment la peine. Si le changement est réellement possible quand la résistance est si profondément ancrée dans la société.
Le poids sous-estimé d’une organisation à mission
Lorsque j’ai fondé Rezalliance, ce n’était pas sur un coup de tête. C’était une réponse à un besoin réel : lutter contre le harcèlement et la discrimination au travail, créer un espace où les personnes affectées peuvent se reconstruire et aider les organisations à bâtir des cultures véritablement inclusives. Avec le temps, la mission a évolué, allant bien au-delà de ce que j’avais imaginé au départ, en s’attaquant aux causes profondes, pour transformer les mentalités, les comportements et les systèmes. Mais avec la croissance s’ajoute la complexité, et avec elle, d’autres défis inattendus.
Au sein de Rezalliance, j’ai vu des personnes rejoindre l’initiative avec de bonnes intentions, désireuses d’aider, pour finalement réaliser qu’elles cherchaient inconsciemment à se guérir elles-mêmes. Ce n’est pas un jugement, c’est humain. Mais dans un espace dédié à une cause, cela signifie que, plutôt que d’avancer, nous nous retrouvons parfois à gérer des blessures personnelles qui ne nous appartiennent pas. Quand une équipe est composée de personnes en quête de réparation plutôt que d’impact, l’organisation peut s’enliser. Et c’est un poids auquel je n’étais pas préparée.
Et puis, il y a les gens qui, au lieu d’apporter de l’énergie, viennent avec leurs peurs et leur scepticisme. Si la pensée critique est précieuse, il y a une fine ligne entre le questionnement constructif et le doute qui paralyse. Les personnes qui critiquent sans proposer de solutions alternatives, qui pointent les failles sans contribuer à bâtir, peuvent vider une initiative de son élan, de l’intérieur.
Et bien sûr, il y a le monde extérieur.
Les défis externes : Promesses creuses et spectateurs silencieux
Le domaine de l’entreprenariat à visée sociale ou sociétale est plein de contradictions. Beaucoup aiment parler de changement, mais peu sont prêts à investir pour le réaliser.
- Il y a ceux qui promettent du soutien mais ne donnent jamais suite.
- Ceux qui veulent accéder à notre réseau, notre crédibilité, notre audience, sans jamais contribuer en retour.
- Les institutions qui se disent engagées pour l’inclusion au travail, mais refusent de nous soutenir pour des raisons absurdes, tout en demandant l’accès à nos documents stratégiques, méthodologies et outils.
- Parlons des clients potentiels. Ces organisations qui expriment leur enthousiasme, qui disent aimer notre travail, vouloir collaborer avec nous, puis disparaissent. Mais après je les vois ouvrir chaque newsletter, cliquer sur chaque lien, scruter chaque ressource que nous partageons. Certaines vont même jusqu’à reprendre nos idées et les mettre en œuvre sans reconnaissance, sans mention, sans réciprocité.
Et pourtant, ce sont souvent les mêmes qui prétendent soutenir l’équité au travail.
Le contexte plus large : Où est l’engagement réel ?
Tout cela serait déjà épuisant en temps normal. Mais si l’on ajoute à cela le climat géopolitique actuel, la montée des injustices sociales, la régression de plusieurs grandes entreprises sur les politiques de diversité et d’inclusion, l’absence de réformes concrètes… Tout devient encore plus lourd.
Dans tout cela, je ne vois pas beaucoup de personnes prendre position, encore moins investir dans des actions tangibles pour créer un monde du travail plus équitable. Celles et ceux qui se présentaient autrefois comme de fervents défenseurs de la diversité et de l’inclusion reculent aujourd’hui, se cachant derrière le contexte politique. De quoi questionner la sincérité de leurs affirmations passées.
J’ai souvent dit que la diversité sans inclusion n’est qu’une diversion. Et nous y voilà.
Prenons par exemple les 61 PDG qui ont récemment signé une lettre ouverte dans le journal Le Temps, affirmant leur engagement en faveur de l’inclusion au travail. Un geste audacieux, en théorie. Alors, je les ai contactés. Tous les 61.
A votre avis, combien de réponses ai-je reçues …?
Pour vous donner un début d’indice, je dirais qu’il est facile de signer une lettre à plusieurs. Passer à l’action, c’est autre chose.
Je publierai certainement un autre article pour partager les résultats finaux de ce qui s’annonce être un test de réalité. Restez connecté·es.
Le coût de rester et le coût de partir
C’est normalement le moment où je devrais vous dire que, malgré tout, je reste optimiste. Que j’ai une résilience infinie. Que je me lève chaque matin avec une énergie renouvelée pour affronter les mêmes batailles.
Mais ce serait un mensonge.
La vérité, c’est qu’il y a des moments où je me demande : est-ce que ça en vaut la peine ? Des moments où j’imagine ce qui se passerait si j’arrêtais. Si je lâchais prise. Si j’abandonnais.
Parce que le coût de rester dans ce combat est élevé. Cela veut dire plaider en permanence, éduquer sans relâche, résister aux gens qui trouvent leur compte dans le statu quo. C’est un travail émotionnel invisible et sous-évalué. Cela signifie avancer même quand le chemin est incertain.
Et pourtant, abandonne aurait un coût encore plus élevé. Pas pour moi, mais pour notre humanité.
Si j’arrête, et si d’autres font de même, que se passe-t-il pour celles et ceux qui ont encore besoin de ce travail ? Pour celles et ceux qui ont trouvé des solutions auprès de Rezalliance pour se reconstruire, et rebondir? Pour les génération actuelle et futures, qui méritent un monde du travail sain et équitable, sans harcèlement ni discrimination ?
Alors, pourquoi continuer ?
Je me suis déjà retrouvée à ce point de bascule, à la limite de l’épuisement, en plein doute. Mais à chaque fois, je me rappelle POURQUOI j’ai commencé. Et la vérité, c’est que je n’ai pas entamé ce parcours juste pour moi.
Je l’ai fait parce que je le devais aux personnes qui m’ont précédée, qui ont mené ce combat pour que je puisse me tenir debout, parler et œuvrer pour les droits humains. Si ces personnes avaient abandonné, je ne serais pas là aujourd’hui.
Comme l’a dit Maya Angelou : « On peut connaître de nombreuses défaites, mais il ne faut jamais s’avouer vaincu·e.«
C’est ce que je fais.
Alors, si vous aussi, vous vous sentez épuisé·e, si vous doutez de l’impact de vos efforts : prenez le temps de vous reposer, mais n’abandonnez jamais. Souvenez-vous que trébucher ne veut pas dire tomber. Et même si vous tombez, vous pouvez toujours vous relever et avancer.
Parce que le travail doit continuer. Et si ce n’est pas nous qui le faisons, alors qui le fera ?
📌 Le 23 mai, nous aurons le privilège de rassembler des femmes et des hommes qui croient qu’un monde du travail plus sûr et plus équitable n’est pas seulement possible, mais essentiel. Rejoignez-nous pour la prochaine édition de la Journée Internationale contre le Harcèlement et pour l’Inclusion dans le monde du travail. Vous pouvez découvrir le programme détaillé et la liste des intervenant·es sur la page dédiée: Genève 2025.
Continuons à avancer, ensemble.
Avec toute ma considération,
Joëlle Payom
Fondatrice, Rezalliance
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